mercredi 7 janvier 2015

Les règles du savoir-vivre dans la société moderne


Pièce de Jean-Luc Lagarce vue au Théâtre des Déchargeurs.Naître, ce n'est pas compliqué. Mourir, c'est très facile. Vivre, entre ces deux événements, ce n'est pas nécessairement impossible. Il n'est question que de suivre les règles et d'appliquer les principes pour s'en accommoder, il suffit de savoir qu'en toutes circonstances, il existe une solution, un moyen de réagir et de se comporter, une explication aux problèmes, car la vie n'est qu'une longue suite d'infimes problèmes, qui, chacun, appellent et doivent connaître une réponse.Il s'agit de connaître et d'apprendre, dès l'instant déjà si mondain de sa naissance, à tenir son rang et respecter les codes qui régissent l'existence.Il s'agit enfin de contrôler ses peines, de pleurer en quantité nécessaire et relative, de juger de l'importance de son chagrin et toujours, dans les instants les plus difficiles de la vie, d'évaluer la juste part qu'on leur accorde.
Seul en scène, le comédien Martin Juvanon du Vachat débite toutes les conventions sur le même ton. Il y a quelque chose hypnotique comme une litanie, avec quelques refrains comme "logique", "possible", "envisageable".
Il déroule toutes les conventions sociales de la naissance à la mort, en passant par la demande en mariage, les fiançailles, les noces d'argent ou d'or. Toutes ces conventions qui rythment la vie humaine, organisent la société humaine. Elles sont rassurantes, elles représentent la normalité, voire un idéal, elles existent car on a besoin d'y croire. On se prendrait presque à croire qu'elle sont la condition du bonheur. Pas de questionnement, pas de déception, pas de violence, la voie est tracée vers l'harmonie. Le narrateur est une personne qui vit par procuration en parlant de la vie des autres, d'autres vies que la sienne. François Thomas a pris le partie de travestir en femme ce narrateur, "qui ne fait que jouer et se fabriquer son théâtre." Cela apporte aussi une distance ironique à ces règles édictées.
Publié en 1994, ce texte de  Jean-Luc Lagarce reprend le texte de la baronne Staffe, publié au XIXè siècle. "Il existe un livre, ce livre règle tout, il propose une solution pour tous les instants de la vie, il organise et rassure. C'est un livre absolu." expliquait l'auteur.


Extrait :
La fête des fiançailles se passe en famille, dans une intimité rigoureuse. Les amis de la veille, ce qu’on appelle les connaissances, n’y assistent pas. On n’expose pas le bonheur ingénu de la jeune fille, ses joies rougissantes, aux yeux et commentaires, car commentaires à craindre, on n’en saurait douter, aux yeux et commentaires des indifférents et des cyniques.

Le fiancé envoie son premier bouquet le jour des fiançailles. Ce bouquet est composé de fleurs blanches, parmi celles que préfère la fiancée dans cette couleur. Elle est ravie de cette coïncidence de bon augure.
Il apporte lui-même la bague. Il a consulté discrètement pour savoir quelle est la pierre favorite de la jeune fille, car il ne doit pas acheter cet anneau au hasard. Il y a des fiancées qui ont peur des perles, parce qu’elles s’imaginent qu’elles présagent des larmes. C’est crétin, mais on ne peut commencer dès le jour des fiançailles à le dire.
Quelle qu’elle soit, de toute manière, la bague doit être bien accueillie, c’est le moins qu’on puisse espérer. La jeune fille s’émerveille et s’exclame : « Ah… ».