mercredi 7 février 2007


"VIE ET DESTIN" AU THÉÂTRE

À la MC93, se jouait du 4 au 7 février, en création mondiale, "Vie et Destin", d'après le roman de Vassili Grossman. Quatre heures de spectacle interprété en russe (surtitré) par les 26 comédiens du Théâtre de Saint-Pétersbourg.
De l'épopée tolstoïenne signée de Vassili Grossman, le metteur en scène russe Lev Dodine restitue plus que l'histoire (heureusement simplifiée), il tisse une trame universelle entre drames intimes et collectifs, horreur et humanité.
Il s'agit des histoires de la famille de juifs russes Chapochnikova au milieu de l'Histoire, au moment du siège de Stalingrad par les nazis. Le roman est une réflexion sur les systèmes totalitaires que sont le nazisme et le stalinisme, qui se rejoignent et se combattent justement durant ce siège.

Strum est un brillant scientifique de l'atome prié de faire son autocritique pour son côté triop théorique "à l'encontre de la vision léniniste de la nature et de la matière". On le traite de "scientifique à l'abstraction talmudiste", il doit faire face à un début d'antisémitisme… Le premier mari de sa femme Ludmilla, Abartchouk, un bolchévique convaincu, est prisonnier pendant ce temps-là dans un camp stalinien. Il sera poignardé par un droit commun. La sœur de Ludmilla, Genia, a vu son mari, le commissaire politique Krymov, se faire arrêter après avoir été dénoncé pour trotskisme. Genia avait fait part des louanges de Trotski à l'égard de son mari, Krymov, auprès de son amant, le colonel Novikov, qui hésitera durant 8 minutes avant d'envoyer ses hommes se faire massacrer pour Stalingrad.

La mère de Strum, enfermée dans le ghetto de Berditchev, égrenne une lettre à son fils durant toute la représentation, sa dernière lettre avant de mourir dans les chambres à gaz. C’est le fil rouge, le fil conducteur de la pièce, ainsi que sa conclusion. Strum reçoit un coup de fil de Staline le félicitant : "Vous êtes dans la bonne direction. Bon courage dans votre travail". Il se répête ces deux phrases pour mieux y croire. Mais il fait alors preuve de faiblesse croyant signer une pétition voulue par Staline que lui font signer ses collègues. Il y dénonce les mensonges calomnieux de la presse occidentale à propos de la répression politique en Union Soviétique.

Le metteur en scène a privilégié l'histoire de la famille de Strum, ce physicien qui est l'alter ego de Vassili Grossman. Cette fresque universelle est jouée avec beaucoup de sensibilité, la mise en scène est fluide, rythmée, alternant des scènes de part et d’autre d’un filet de hand ball qui figure un rideau de fer ou les barbelés d’un camp… Les scènes se répondent dans le temps et dans l’espace. La mère de Strum « assiste » à l’emménagement de son fils à Kazan, alors qu’elle est enfermée dans un ghetto, les prisonniers d’un camp stalinien répondent exactement aux mêmes ordres que ceux d’un camp de concentration… Une adaptation cohérente, pleine de sens, absolument enthousiasmante.