INTERVIEW DE CALI
Retranscription intégrale de l'interview que j'ai réalisée à la Maroquinerie avec Cali. Nous sommes dans le bureau de la salle de concert, derrière le guichet, un vendredi après-midi.
Comment s’est passée cette dernière tournée ?
Cali : C’était magique ! Je suis très fier de toute l’équipe, je le dis et je le redis. Nous étions 25 sur la route, et il n’y a pas eu une friction. Tous heureux d’être là. Et quand on voit les sacrifices pour mettre en œuvre tout cela : on quitte nos familles, tout le monde avait le sourire et faisait cela en étant très heureux.
Après, le public nous a réservé un accueil inimaginable, vraiment, c’est le mot. Aujourd’hui, j’ai pu mesurer combien de gens connaissaient les paroles des chansons. C’était vraiment incroyable, lorsqu’il y a une grosse masse de gens qui chante avec moi les chansons…
Et donc, cette tournée justifie beaucoup de choses. Je dis souvent que la vie est absurde, mais là, cela justifie de la vivre, vraiment…
Il y a eu moins de concerts qu’au cours de la première tournée. Parce que l’on a la chance d’avoir plus de monde en concerts. Donc on peut faire de plus grosses salles, comme des zéniths. Par exemple, si nous passons par Montpellier, on ne fait pas les quatre villes autour, on fait une seule grosse salle. Mais cela représente quand même 120 dates en moins d’un an.
Des salles plus grandes, cela change quelque chose ?
C’est autre chose. Moi, je suis toujours très heureux de jouer, qu’il y ait 40 personnes ou 60 000 comme au festival des Vieilles Charrues. L’idée, c’est de se dire : « Je suis chez moi sur scène, comment je peux faire rentrer tous ces gens dans ma chambre ? ». Il faut trouver le moyen de pouvoir communiquer, parfois on est confronté au gigantesque et au gigantisme. Par exemple, j’aime bien slammer, c’est-à-dire sauter sur les gens. Mais quand il y a 60 000 personnes, je vois mes amis, mes proches à côté de moi, qui sont très inquiets ! (rires)
D’ailleurs cela a failli mal se passer en 2005 aux Eurockéennes de Belfort. Vous n’avez pas eu peur ?
Mal passer… disons que je suis arrivé dépouillé, presque nu au bout du public. Je n’arrivais plus à revenir, c’était un peu comme le flux et le reflux des vagues qui vous renvoient vers le large. C’était quelque chose.
Si on me demande 10 minutes avant le concert si je vais slammer, je dis non, parce que j’ai peur. Le slam arrive en général en fin de spectacle, il y a toute cette émotion, et donc un peu on est sur une autre planète, il ne peut rien nous arriver. Du moins, il peut nous arriver des choses, mais on n’en est pas conscient.
Plonger dans le public et se laisser porter par la foule, le « stage diving », comment est-ce venu ?
Grâce à Mathias Malzieu des Dyonisos. C’est le capitaine Slam, le dieu qui vole sur les foules… Un jour, il est venu à un concert, il m’a attrapé par les fesses et m’a jeté dans le public. C’était à Paris, lors d’un concert du Fair, en 2003. Je n’avais jamais osé le faire. Et je me suis fait toucher, caresser, embrasser et porter. Pour moi, ce n’est plus du slam, c’est de la slamification.
C’est-à-dire ?
Je ne sais pas. C’est quelque peu christique : on tend les bras, on se fait porter, comme on marcherait sur l’eau. Cela devient tellement absurde que c’est beau. J’adore l’absurdité de toutes manières. C’est beau. C’est parti de lui, et maintenant je prends ce plaisir, vraiment.
Avec la foule de plus en plus importante, c’est un challenge, en plus, j’ai le vertige. Et je me suis retrouvé en haut de poteaux, là où sont perchés les techniciens lumière, à m’accrocher, à faire n’importe quoi… Mais j’ai besoin de faire n’importe quoi.
Pourquoi après cette tournée dans de grandes salles passer par le carde intime de la Maroquinerie à Paris ?
J’ai souvenir de la dernière date de la tournée pour l’album « L’Amour Parfait », après laquelle je suis tombé dans une petite dépression : c’était le vide total. On est très haut sur des falaises puis on en tombe… Même si l’on a une famille proche, des amis, c’est difficile de redescendre des sommets sur terre. La rupture est un peu brutale. À la Maroquinerie, on continue pour se poser doucement, avec un joli parachute qui nous fait descendre tranquillement. En plus, l’idée c’était de pouvoir déshabiller les chansons pour les rhabiller différemment avec des musiciens exceptionnels. Julien au piano, Blaise au trombone et Nicolas à la trompette. Avec cette joie de se dire que les gens qui ont vu plein de concerts vont encore découvrir autre chose. Et surtout aussi jouer de nouvelles chansons, faire des reprises, chanter avec des amis… C’est un petit peu comme une boum à la Maroq, chaque soir.
On vous sent heureux d’être sur scène. Qu’est-ce qui provoque cela ?
Pour moi, la scène c’est la récompense, c’est l’orgie. Récompense, c’est vraiment le mot. On a travaillé longtemps, pour apprendre les instruments, pour apprendre les chansons, pour répéter avec les musiciens. C’était très sérieux. Monter un spectacle, cela part du producteur de spectacles jusqu’à l’accordeur de guitare, il faut réfléchir à tout, c’est très très sérieux, très minutieux, tout est pesé, rien n’est laissé au hasard. Quand tout est prêt, je dis à mes musiciens : « Maintenant, on a le droit de s’amuser, c’est fini, c’est la récré, on lâche tout. » Et c’est ce qui se produit sur scène, c’est le résultat de tout ce travail. Donc, c’est peut-être cela.
Je me sens vraiment chez moi sur scène. Et j’ai fait tellement de conneries lorsque je jouais dans des bals de villages, qu’aujourd’hui des conneries sur scène et heureux d’être là, ça continue.
C’est par la scène que vous vous êtes fait connaître. C’est une récompense mais aussi un moyen…
Oui. Dès le départ, nous n’avons pas côtoyé les studios d’enregistrement, on voulait aller sur scène sans savoir jouer. Au début, j’étais dans des groupes punk, on ne savait pas s’accorder, on ne savait pas jouer, on poussait des cris… juste pour aller sur scène. Aujourd’hui je suis très touché par la performance de ces groupes et leur fraîcheur, qui ne savent pas très bien jouer mais qui ont une énergie, c’est cela qui est très important, on s’en fout des techniciens.
Moi, j’ai la chance d’avoir des techniciens, mais ce sont des techniciens qui ont l’âme punk.
Vous sortez un DVD sort pour Noël.
Oui, j’en suis très fier. Il s’appellera « La Vie ne sufit pas ». C’est un live traité comme un film, le concert devient prétexte à une fiction, un peu comme si l’on se promenait dans ma tête. On ne voulait pas faire un DVD où l’on ne voit un concert jamais aussi bien qu’en vrai. C’est filmé de plusieurs façons, en 8 mm, en 16 mm, en noir et blanc, en très belles images, un peu à la manière subjective dont étaient filmés les concerts de Bob Dylan dans les années 70.
Le public se demande souvent ce que vous prenez pour avoir une telle énergie.
Rien, j’ai fait du rugby. J’ai fait 17 ans de sport et de rugby. L’entraîneur nous disait qu’il fallait tout donner et que le premier qui peut encore parler en entrant dans les vestiaires, c’est qu’il n’a pas tout donné. Et c’est ce qui se produit aujourd’hui : nous revenons lessivés dans nos loges. L’idée c’est de tout donner et de donner encore après, aller jusqu’à ses limites. C’est très beau d’atteindre quelque chose au-delà de ce que l’on sait que l’on peut faire… parce que là, c’est l’inconnu. Cela donne de nouvelles sensations. Il m’arrive de vomir sur scène, avec l’émotion et l’épuisement.
Je fais la fête ensuite avec mes amis toute la nuit, mais avant de monter sur scène, je ne supporte pas d’être un autre, je ne bois que de l’eau.
Après un concert, j’ai déjà tenté deux ou trois fois d’aller me reposer à l’hôtel, tandis que mes amis sortaient. Je les ai entendus rentrer à 7 heures du matin, je ne dormais pas, j’avais les yeux grands ouverts. C’est impossible de dormir, il faut redescendre quoi qu’il arrive.
Avec ce rythme de vie, avez-vous le temps d’écrire de nouvelles chansons ?
Disons que je ne mets pas un défi en me disant qu’il faut préparer de nouvelles chansons, écrire des chansons m’aide à vivre, donc je le fais tout le temps. Mais on ne pense même pas au prochain album, parce qu’aujourd’hui, je prends plaisir à faire ce que je fais. Si je m’aperçois que je m’emmerde dans cette vie actuelle, je m’arrêterais. Donc je ne suis pas sûr de faire un autre album, on verra.
Il y a des chansons qui sont déjà prêtes. Ce qui est touchant, c’est de présenter des chansons au dernier moment aussi, à l’instant T, pour montrer une carte postale de notre vie actuelle.
Vos chansons sont nourries de votre « bordel amoureux », il existe toujours ou bien c’est du passé ?
Ce sera toujours le bordel amoureux. Je l’espère, car je n’envie pas les couples qui sont absolument heureux, cela doit être chiant à mourir. Un peu comme tous les gens qui m’entourent, on a beaucoup de choses à se raconter en fait ! Cela peut encore nourrir mes chansons, mais ce n’est qu’un prétexte, cela nourrit ma vie, point. Tout ce qui est chaotique est motivant. La barque ne bouge pas si la mer est plate, alors ce que je fais, c’est d’essayer de la remuer dans tous les sens pour me foutre à l’eau, comme cela, on a la possibilité d’essayer de remonter, c’est pas mal.
Comme vous le dîtes dans une chanson, mourir d’amour n’est plus de votre âge ?
Mourir d’amour sera toujours de mon âge ! Je dis le contraire dans « Elle m’a dit », mais évidemment, mes histoires d’amour m’ont souvent rapproché de la mort. Le reste n’est qu’un déguisement qui habille cette vie, mais il n’y a que l’amour qui compte. On peut avoir tout perdu, s’il reste l’amour, on peut survivre…
Vous n’en avez pas marre de chanter 120 fois la même chanson ?
Je ne me jette pas des fleurs, mais je suis assez fier de mes chansons car elles ne m’ennuient pas, je n’en ai pas marre de les chanter, sinon, je ne le ferais pas. Une chanson, je ne la donne pas si je n’en suis pas fier à 2000%.
En quoi être en tournée change votre vie ?
Nous sommes des troubadours dans des roulottes, qui vont de ville en ville. Lorsque nous arrivons, c’est toute une famille qui débarque, nous plantons un étandard et disons : « Oyez ! Oyez ! On est les Cali ! On va vous montrer ce que l’on sait faire. » Et nous avons tous les jours des sourires différents, des gens qui viennent nous remercier, c’est un bonheur total. C’est vrai que c’est une aventure de vie. J’ai la chance de jouer avec des musiciens qui viennent quasiment tous de Perpignan, du sud en tous cas. On se connaît bien, on connaît nos familles, nos amis, nos problèmes, et cela permet parfois lorsqu’il y a des moments de cafard de bien parler entre nous, et cela n’a pas de prix.
Et cela change la vie de tourner, car il faut être sacrément doué pour mener de front une vie de famille et une vie de groupe. Évidemment, nous ne partons pas à 8h au travail pour revenir à 18h à la maison, en revanche, quand on est à la maison, on y est vraiment, parfois pendant des mois entiers pendant lesquels nous sommes totalement avec les nôtres. Je lisais un article alarmant qui expliquait qu’un père et une mère passent en temps réel 12 minutes par jour avec leurs enfants, c’est-à-dire pour passer du temps avec ton enfant, lui lire une histoire, pas le voir ou le faire manger. Moi, quand je suis à la maison, je suis avec mes enfants, et je me dis que ce n’est pas 12 minutes…
Et le fait d’être populaire change aussi votre quotidien…
On ne va pas se plaindre ! Ceux qui se plaignent qu’on leur demande des autographes, c’est des connards ! C’est quand même merveilleux des gens qui vous arrêtent dans la rue pour vous dire « Merci pour ce que vous faîtes », « Votre chanson m’a aidé à demander la main de votre femme » ou tout simplement, il y a des gens qui m’ont dit que cela les aidait à vivre, c’est incroyable ! Évidemment, j’ai des proches qui m’empêchent d’attraper la grosse tête, mais ce n’est pas la grosse tête que l’on a, c’est le cœur énorme ! Moi, je me dis que je suis très très très chanceux. Il y a une phrase qui me plaît, c’est : les lauriers fânent plus vite que les roses. On en profite bien, et lorsque cela s’arrêtera, au moins, je pourrai dire « J’ai fait ça », et à mes petits-enfants je pourrai dire « Papy, un jour, il a nagé sur 60 000 personnes ! ».
Vous avez à l’esprit que cela s’arrêtera ?
Disons que j’ai l’impression d’avoir plusieurs vies. J’ai eu une vie de rugby, je pensais faire du rugby toute ma vie, et cela s’est arrêté. Aujourd’hui, j’ai une vie de musique, ensuite j’aurai peut-être une vie de mousse sur un bateau ou de moine zen en haut d’une montagne du Népal, on verra…
On n’y croit pas trop…
Pourquoi ? C’est ça qui est beau dans cette vie ! On peut croiser quelqu’un dans la rue, qui bouleverse notre vie et qui peut nous prendre par la main et par les yeux pour nous amener à l’autre bout du monde. Ça j’y crois tout le temps, un acte terroriste qui peut tout enclencher en quelques secondes.
Une vie de rugby, une vie de musique et une vie d’acteur ?
Je ne crois pas trop à une vie d’acteur, c’est vraiment un jeu. Mon ami Philippe Muilh, le réalisateur de « Magique », pour lequel j’ai écrit la musique, m’a proposé un rôle comme un cadeau. J’espère juste que je ne vais pas plomber la carrière des autres acteurs ! Si on m’avait proposé d’aller sur la Lune, j’aurais dit oui. C’est une expérience, je le prends comma ça. C’est un film ponctué de beaucoup de chansons, les mots étaient écrits et je les ai habillés de musique. Nous tournons en avril prochain, j’aurais a priori un rôle de clown.
Votre carrière est devenue fulgurante après la sortie de « L’Amour Parfait » chez Virgin. Est-ce que le succès passe aujourd’hui encore par une maison de disques ?
Je pense qu’il n’y a pas de recette. Auparavant, nous nous étions débrouillés pour trouver des concerts, des moyens de financer des auto-productions… Je dirais que l’essentiel pour moi a été de trouver un producteur de spectacles, parce que nous vivons par la scène. Et il m’a pris sous son aile une année avant que je signe avec la maison de disques. Il s’agit d’Asterios, et grâce à lui, nous avons pu jouer et tourner sans être connus du tout. On a beaucoup d’imagination lorsque l’on pense au disque que l’on va faire, mais on a pas les moyens de l’assumer. Et aujourd’hui, quelque part, les limites, c’est l’imagination, grâce à ça.
Après, il faut tomber sur les bons, il y a beaucoup de vermines et de pourris dans les maisons de disques, mais je suis sûr que je suis bien entouré.
Quand on parle de groupes alternatifs, il faut avoir refusé des propositions de majors du disque pour être alternatifs. On ne se décrète pas alternatifs, on l’est si l’on refuse des propositions, et il y a des groupes qui fonctionnent très bien en étant dans la marge, donc il n’y a pas de recette. Il y a aussi Internet, grâce auquel des groupes passent outre les maisons de disques. Je pense qu’il faut avoir des bons avec soi, mais surtout de bonnes chansons. Il y a aussi une bonne part de chance aussi, mais la chance vient si on la tente.
La tournée s’achève bientôt ?
Après la Maroquinerie, nous passons par la Belgique, avant de nous envoler pour le Canada où nous resterons une semaine. L’année prochaine sera sabbatique, donc nous donnerons avec d’autres artistes des concerts caritatifs et associatifs, mais aussi combatifs. Car je jouerai pour expliquer combien il est important d’aller voter pour empêcher que le diable ne soit pas élu aux prochaines élections.
Qui est le diable ?
Je n’aime pas dire son nom, Kissinger disait : « Parlez de moi en bien ou en mal, je m’en fiche tant que vous parlez de moi ». Je sais qu’aujourd’hui la personne qui fait voter ces lois ignobles sur l’immigration, je ne le porte pas dans mon cœur. Il me fait très peur. Nous donnerons des concerts pour expliquer cela à des jeunes et leur dire d’aller voter.
© N.D.
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